Par les étudiants du Mastère Spécialisé Management et Direction de Projets : ABDOUN Aniss, ABBOUR Houria, BENKACI Massin, CHEVALET Melanie, DJOKRE Djoman, MOMBOULI Bonfrate Carly
L’intelligence artificielle (IA) représente une révolution technologique majeure dans notre société. Comme le souligne Sabine HAUERT, cofondatrice de Robohub.org, « Les robots ne remplaceront pas les humains, ils rendront leur travail plus humain. Les tâches difficiles, dégradantes, exigeantes, dangereuses et ennuyeuses seront prises en charge par les robots ».
Dans cet article, nous étudierons l’impact des technologies d’intelligence artificielle sur la gestion de projets. Nous aborderons comment l’IA agit comme un outil d’aide à la décision, automatise les tâches pour accroître la productivité, permet de capitaliser sur le retour d’expérience, tout en soulignant les préoccupations liées à la confidentialité des données. De plus, nous examinerons son influence sur le leadership, les erreurs potentielles et les implications financières et en ressources.
En explorant ces points, nous serons en mesure de mieux comprendre les défis et les opportunités que l’IA apporte à la gestion de projets moderne.
L’IA comme outil d’aide à la décision
L’IA peut jouer un rôle crucial dans la prise de décision pour les projets en facilitant le traitement et l’analyse des données, en fournissant des informations précises et en identifiant des schémas et des tendances significatifs.
Grâce à l’IA, les chefs de projets peuvent exploiter une diversité de données précieuses qui étaient auparavant difficiles d’accès ou trop complexes à traiter rapidement. Cette multitude d’informations leur offre la possibilité d’adopter une approche étayée par des faits tangibles.
En tant qu’outil d’aide à la décision, l’IA renforcera la capacité des directeurs de projets à prendre des décisions éclairées et stratégiques par l’évaluation de différentes options. Cela pourrait aussi se traduire par l’utilisation d’algorithme d’optimisation, contribuant ainsi à la réussite et à la pérennité des projets, à une meilleure planification, à l’évaluation des risques, des coûts et des avantages.
L’IA peut par exemple être utilisée dans l’analyse des feedbacks utilisateurs. Ce qui permettra de comprendre les besoins et d’apporter des améliorations. En repérant les signaux subtils ou les opportunités émergentes, l’IA permet non seulement d’anticiper les défis potentiels, mais également de saisir les occasions de croissance et de réussite.
Automatisation des tâches pour une productivité décuplée
Dans leur quotidien, les équipes projets font face à un grand nombre de tâches répétitives et fastidieuses telles que la rédaction de compte-rendu et de rapports, la planification, la gestion documentaire ou encore la gestion des ressources. A l’aide de l’IA, il est maintenant possible d’automatiser ces tâches et il existe déjà des logiciels (comme Asana par exemple) capables de regrouper l’ensemble de ces services.
La charge de travail actuelle des directeurs de projets se voit ainsi amoindrie ce qui pourrait être perçu comme une menace vis-à-vis des effectifs nécessaires et donc de la stabilité de l’emploi. Cependant, plus qu’une menace, cette automatisation devrait en réalité être considérée comme une opportunité pour les équipes projets qui, en gagnant du temps sur ces tâches, peuvent se concentrer sur les actions générant le plus de valeur. Ainsi, l’IA permet d’améliorer la productivité mais aussi la qualité du travail et ainsi avoir une vision plus globale et stratégique des projets ce qui facilite la communication et la collaboration entre les membres des équipes.
Capitalisation du retour d’expérience
L’intégration de l’intelligence artificielle dans la gestion de projets offre également une opportunité sans précédent vis-à-vis de la capitalisation sur les retours d’expérience. Grâce à des algorithmes d’apprentissage automatique et à l’analyse de données avancées, l’IA peut examiner de vastes ensembles d’éléments provenant de projets précédents, identifiant ainsi des schémas, des tendances et des facteurs de succès. Ces données comprennent des informations sur les défis rencontrés, les solutions adoptées, les erreurs commises et les résultats obtenus.
En exploitant ces informations, les systèmes basés sur l’IA peuvent recommander des stratégies et des approches pour les managers des projets actuels, en se basant sur les leçons apprises. Par exemple, si une entreprise a constaté que les retards dans la livraison étaient souvent dus à des problèmes de coordination entre les équipes, l’IA peut recommander des ajustements dans la planification des tâches ou l’attribution des ressources pour éviter que les erreurs passées se reproduisent. Cette capacité à tirer parti de l’expérience accumulée permet non seulement d’optimiser les performances des projets actuels, mais aussi de favoriser un processus d’amélioration continue au sein de l’entreprise.
En encourageant le partage des connaissances et en facilitant l’accès aux meilleures pratiques, l’IA transforme le retour d’expérience en un véritable moteur de progrès et de réussite dans le domaine du management de projets.
Cybersécurité, confidentialité et souveraineté des données
Bien que l’IA présente de nombreuses opportunités dans le cadre de la gestion de projets, l’arrivée de cette révolution apporte des défis qu’il faut être prêt à aborder.
Le premier correspond à la prise en compte des aspects cybersécurité, qui deviennent fondamentaux par les risques associés à la confidentialité et la souveraineté des données que l’utilisation des IA implique.
En effet, le fonctionnement de l’IA repose sur la collecte et le traitement des données qui sont deux étapes porteuses de menaces. La cybersécurité déjà nécessaire en entreprise devient encore plus importante et incontournable pour protéger ces données face aux attaques cybercriminelles telles que les ransomwares et les vols de données qui entraînent des conséquences financières et opérationnelles importantes.
Comme expliqué précédemment, l’intégration de l’IA dans le management de projets devrait conduire à une refonte de cette discipline et ces quelques aspects sont à prendre en compte pour assurer la cybersécurité :
- Protection des données : face à l’importante quantité de données que l’IA traite, il est nécessaire d’assurer que les informations sont sécurisées tout au long du cycle de vie du projet, depuis la collecte jusqu’au stockage et à la transmission.
- Vérification des modèles d’IA : il devient obligatoire d’effectuer des tests de sécurité approfondis pour identifier et corriger les vulnérabilités potentielles dans les modèles d’IA.
- Collaboration avec les experts en cybersécurité : à défaut d’avoir une équipe dédiée au sein de l’entreprise, il est recommandé d’impliquer des experts en cybersécurité dans la conception et la mise en oeuvre des projets impliquant l’IA. Leur expertise peut contribuer à identifier et à résoudre les problèmes de sécurité potentiels.
- Gestion de la propriété des données : dans le domaine du management de projets avec l’intelligence artificielle, la propriété des données dépend des accords contractuels entre les parties. Les sources diverses, comme les plans et rapports de projets, contribuent à ces données. Les contrats définissent les responsabilités et droits de chaque partie, tandis que des considérations telles que la confidentialité, la conformité aux réglementations, et la transparence sont essentielles. En résumé, des accords clairs sont nécessaires pour assurer une utilisation éthique et appropriée des données dans le contexte du management de projets avec l’IA.
Quel impact de l’IA sur le leadership ?
L’utilisation de l’IA dans le cadre du management de projets peut susciter des résistances, notamment en raison de la dimension humaine et du rôle central du leadership dans la conduite des projets. Néanmoins, plutôt que de considérer ces caractéristiques comme des obstacles, il est possible de les transformer en opportunités pour accompagner efficacement le chef de projets.
En effet, le leadership, la communication et la capacité à mobiliser les équipes sont des compétences essentielles pour un chef de projets et qui ne peuvent être remplacées par l’IA. Cependant, au lieu de voir cette dernière comme une menace pour ces compétences humaines, elle peut être envisagée comme un complément grâce à la libération du temps précieux pour les chefs de projets pour gérer les aspects relationnels et stratégiques de leur rôle.
Il est évident que l’IA ne peut remplacer le chef de projets dans son rôle d’humain, l’absence d’émotions de cette dernière présente des avantages significatifs. En effet, les recommandations générées par les IA sont basées sur des données objectives et des algorithmes rationnels, ce qui peut conduire à des choix plus cohérents et équitables. En éliminant les biais émotionnels et les préjugés personnels, les IA peuvent contribuer à une prise de décision plus objective et à la réduction des erreurs humaines.
En transformant les faiblesses perçues de l’IA en opportunités, les chefs de projets peuvent tirer parti de ces technologies pour renforcer leur leadership, améliorer leurs processus décisionnels et augmenter la réussite de leurs projets.
Plutôt que de craindre l’impact de l’IA sur la dimension humaine de la gestion de projet, il est possible de l’utiliser de manière stratégique pour compléter et renforcer les compétences des directeurs de projets, créant ainsi un environnement de travail plus efficace et performant.
En fin de compte, l’humain reste la seule invention capable de prendre en compte des éléments qu’une IA ne peut pas intégrer tels que les relations interpersonnelles, le contexte humain et les enjeux éthiques liés à la gestion de projet.
L’intelligence artificielle ne peut pas remplacer l’expertise humaine et le jugement critique d’un chef de projets, mais peut être un allié précieux pour améliorer l’efficacité et l’efficience de la gestion de projets. Comme l’indique Peter Drucker, considéré comme l’un des pères fondateurs du management moderne « Ce qui est mesuré s’améliore, ce qui est mesuré et rapporté s’améliore plus encore. »
Les directeurs de projets devraient donc considérer l’IA comme une opportunité pour améliorer leur quotidien.
Risque d’erreurs générées par les IA
Bien que l’IA soit d’une aide précieuse, il faut garder en tête que ses résultats sont générés à partir d’une base de données et les entrants apportés par l’utilisateur. Si ces derniers ne sont pas clairs ou insuffisants, il est possible que l’IA génère des résultats biaisés, voire incorrects.
En s’inspirant du test de Turing qui vérifie si un ordinateur peut convaincre un utilisateur qu’il échange avec un autre humain, la comparaison de la réponse générée par une IA par rapport à un chef de projets est intéressante à creuser.
André BARCAUI (Professeur, auteur et conférencier, diplômé en technologie de l’information et psychologie) et André MONAT (Docteur et Professeur en ingénierie des systèmes et informatique) comparent dans leur article Who is better in project planning ? Generative artificial intelligence or project managers ? de la revue Project Leadership and Society les résultats donnés par un chef de projets contre ceux générés par l’IA Chat GPT-4.
Dans cet article, l’idée est de générer un plan de projet pour le développement d’applications mobiles de beauté et d’esthétique et le directeur de projets et l’IA reçoivent les mêmes informations, lignes directrices et exigences.
Pour synthétiser les résultats, le Chef de Projets est bien plus qualifié que l’IA pour l’analyse stratégique du projet et les estimations opérationnelles.
En effet, du point de vue stratégique, les objectifs sont mieux définis et le marché est profondément analysé par l’humain alors que l’IA n’est pas spécifique et ne donne pas d’objectif mesurable. Également, les contraintes et dépendances sont mentionnées et détaillées par le directeur de Projets mais non évoquées par l’IA.
Du point de vue opérationnel l’IA sous-estime la durée (-3 mois), les tâches (-150) et le budget (-$154,000) du projet par rapport à l’humain qui traite aussi les profils et compétences nécessaires des ressources, les responsabilités de chaque parties prenantes et les jalons du projet contrairement à l’IA.
Ainsi, sans contrôle des résultats générés par les IA d’aujourd’hui, des erreurs pourraient se glisser dans la gestion de projets et engendrer des dépassements du budget, du planning ou encore de la qualité et de la performance du produit.
Cependant, si on reprend l’article de André BARCAUI et André MONAT, l’IA équivaut les résultats de l’Homme sur de nombreux aspects du plan du projet et a même donné des résultats plus pertinents que ce dernier au regard de l’analyse de risques. En effet, l’IA a identifié les risques de façon plus poussée et chaque risque a été qualifié, quantifié et mitigé alors que le directeur de projets n’a fait l’analyse que partiellement en s’arrêtant à l’identification.
Ce test permet ainsi de démontrer (ce qui est rassurant en un sens) que les IA ne peuvent pas remplacer les humains mais qu’il s’agit d’un outil pour optimiser les performances. A noter cependant que, bien que cela ait un coût, ces erreurs peuvent être amoindries avec le temps grâce à la complétion des bases de données initiales et l’apprentissage sur retour d’expérience comme mentionné plus tôt.
Implications financières et ressources
L’intégration de l’IA dans le processus de management de projets comporte des implications financières significatives, mais elle peut également être considérée comme un investissement judicieux. Initialement, les coûts liés à l’acquisition de technologies IA, au développement de systèmes sur mesure ou à l’achat de solutions existantes spécialement entrainées pour l’entreprise peuvent être considérables. De plus, la formation du personnel pour utiliser efficacement ces outils et la mise en place de sécurités informatiques additionnelles peut nécessiter des investissements supplémentaires.
Cependant, ces dépenses initiales sont souvent compensées par les avantages à long terme que l’IA peut apporter. En automatisant les tâches répétitives et en optimisant les processus, l’IA peut réduire les coûts opérationnels et accroître l’efficacité du management de projets. Par exemple, en identifiant rapidement les risques ou en fournissant des recommandations pour améliorer la planification, l’IA peut contribuer à éviter les dépassements de budget et les retards de projet, ce qui peut entraîner des économies considérables, sans oublier le gain global en efficacité des équipes projets.
En améliorant la précision des prévisions et en facilitant la prise de décision basée sur des données, l’IA peut contribuer à améliorer la rentabilité des projets et à générer plus de valeur pour l’entreprise.
Ainsi, bien que l’implémentation de l’IA dans le management de projets nécessite des investissements initiaux, ses avantages potentiels en termes d’efficacité opérationnelle et de rentabilité en font un investissement stratégique pour les entreprises soucieuses d’améliorer leurs performances et leur compétitivité à long terme.
Finalement, intégrer l’intelligence artificielle dans les processus de gestion de projets ouvre de nouvelles voies vers l’efficacité, la prise de décision basée sur les données et la productivité accrue. Cependant, cette décision nous pousse également à réfléchir aux implications potentielles et aux défis de compter sur l’IA dans un rôle aussi critique.
D’un côté, co-manager avec une IA offre de nombreux avantages, conduisant finalement à de meilleurs résultats. D’un autre côté, il existe des préoccupations concernant une dépendance excessive à l’IA et sa capacité potentielle à remplacer entièrement la prise de décision humaine.
Bien que l’IA puisse fournir des informations précieuses et des recommandations, elle manque de compréhension nuancée, de créativité et d’empathie que les humains apportent. De plus, il existe des considérations éthiques entourant l’IA, notamment des problèmes liés aux biais, à la confidentialité et à la responsabilité.
La question de la responsabilité juridique se pose dans divers domaines où l’intelligence artificielle est impliquée. Par exemple, dans le secteur financier, si un algorithme d’IA prend des décisions de trading entraînant des pertes financières importantes, qui serait responsable ? De même, dans le domaine de la santé, si un diagnostic erroné est causé par un système d’IA, quelle serait la responsabilité des professionnels de santé impliqués dans le processus de prise de décision ? Enfin, dans le domaine de la justice, si un système d’IA est utilisé pour prendre des décisions sur une infraction, comment garantir la transparence et l’équité du processus tout en déterminant la responsabilité en cas d’erreur ?
Ces exemples mettent en lumière les défis complexes auxquels nous sommes confrontés en matière de responsabilité juridique dans un monde où l’IA joue un rôle de plus en plus important.
L’histoire nous enseigne que les avancées technologiques peuvent susciter des appréhensions initiales, mais qu’elles sont également porteuses de progrès et d’opportunités. Tout comme la révolution industrielle a façonné le monde moderne, l’essor de l’IA est en train de remodeler la manière dont nous travaillons et collaborons dans le domaine de la gestion de projet. En embrassant ces changements avec prévoyance et vision, nous pouvons créer un avenir où l’IA et les travailleurs humains collaborent de manière harmonieuse et bénéfique pour tous.
Enfin de compte, la décision d’intégrer l’IA dans la gestion de projets nécessite une réflexion minutieuse sur ces facteurs. Ce n’est pas simplement une question de « être » ou « ne pas être » avec l’IA, mais plutôt de trouver un équilibre entre les avantages qu’elle offre et les aspects humains essentiels pour assurer le succès et l’éthique des projets.
Nous conclurons par la citation d’Amit RAY. « L’émergence croissante de l’IA dans notre monde nécessite une augmentation parallèle de l’intelligence émotionnelle dans notre leadership »